La grossophobie, lourde de préjugés

En collaboration avec Sarah Normandin, diététiste
Une remarque sur le poids. Une chaise de travail avec accoudoirs dans laquelle on n’entre pas. Un personnage de télé qui se limite à être rigolo parce qu’il est gros. Ou même le regard découragé d’une médecin qui reçoit un patient. Les préjugés et la discrimination à l’égard du poids sont bien réels, et il est temps que ça change.
Comprendre la grossophobie
La grossophobie, c’est adopter une attitude de discrimination envers les individus obèses ou en surpoids. En d’autres mots, on parle de tous les comportements qui les dévaluent socialement ou les mettent à l'écart.
Ici, on parle des comportements volontaires, tels que commenter le poids des gens. Mais il y a aussi des gestes inconscients : par exemple, ne pas offrir un poste ou une promotion à quelqu’un, parce qu’on suppose (mal) que ses rondeurs montrent son manque de volonté.
Ces gestes incluent également des actions « bien intentionnées », comme des conseils non demandés sur la gestion du poids. Même si l’entourage qui les donne se dit inquiet pour la santé de la personne.
Ajoutez à ça la valorisation systématique des corps minces, la crainte de prendre du poids, les contraintes physiques du quotidien (p. ex. : les chaises avec accoudoirs), les microagressions vécues tous les jours par les personnes obèses… Et on commence à comprendre que la grossophobie, c’est sérieux.
Le poids : plus qu’une question de volonté
Bien des personnes croient que pour être minces, il faut juste bien manger et être actives. L’alimentation et l’activité physique jouent en effet un rôle, mais c’est plus complexe. Une panoplie de facteurs (sur lesquels nous n’avons aucun contrôle) détermine notre poids :
- la génétique
- l’âge
- le sexe
- les hormones
- la maladie
- l’environnement
- le statut social et économique
- les préférences individuelles, etc.2
Les personnes obèses n’ont donc pas forcément de mauvaises habitudes de vie. À l’inverse, être mince ne transforme pas quelqu’un en modèle de santé. Ramener le poids à la seule volonté, c’est faire fausse route.
Des préjugés bien ancrés
Nombreux, les préjugés sur le poids entretiennent la grossophobie. Les normes sociales qui valorisent la minceur, la culture des régimes et l’industrie du mieux-être colportent le mythe que les personnes obèses manquent de volonté ou ont juste à se prendre en main.
Pire, des études démontrent que les préjugés négatifs à leur égard influencent la qualité de leurs soins3. On parle alors de grossophobie médicale. Des professionnels de la santé, malgré leur formation, ont en effet tendance à…
- faire moins d’efforts pour aider leurs patients vivant avec l’obésité
- mettre l’accent sur leur poids, même si la raison de consultation est tout autre
- ne pas pousser leur évaluation, en évoquant le poids comme cause de tous leurs ennuis de santé
Les milieux de travail aussi comportent leur lot de préjugés. Les commentaires des collègues sur le contenu des lunchs ou les invitations non souhaitées pour des défis de mise en forme sont monnaie courante.
Au-delà des anecdotes, plusieurs études démontrent que les personnes obèses peuvent être perçues comme moins compétentes, paresseuses et plus à risque de développer des problèmes de santé. Ça influence négativement leur salaire, leur chance d’obtenir une promotion – et même le fait d’être embauchées.
Selon l’Organisation internationale du travail, les femmes obèses rapportent 8 fois plus souvent de la discrimination à cause de leur apparence physique que celles à l’IMC « normal ». Chez les hommes obèses, ce serait 3 fois plus4.
Des conséquences à grande échelle
La grossophobie, c’est loin d’être inoffensif. C’est vivre chaque jour dans un environnement inadapté au format de notre corps (siège dans le transport, taille de vêtement, accoudoirs, etc.). Si on ajoute des préjugés bien ancrés dans la société, on commence à comprendre les répercussions potentielles sur la santé physique, mentale et sociale des gens.
La grossophobie peut5…
- diminuer leur sentiment d’efficacité personnelle
- contribuer à une faible estime de soi et à une mauvaise image corporelle
- pénaliser l’intégration sociale et provoquer l’isolement
- augmenter le risque de trouble alimentaire
- détériorer la relation avec la nourriture et l’activité physique
- encourager la consommation d’aliments comme stratégie de gestion émotionnelle
- susciter une réticence à consulter des professionnels de la santé
- accroître la détresse psychologique
- contribuer ou nuire à la prise de poids, ou encore favoriser des fluctuations de poids
- générer du stress chronique, qui affecte négativement le métabolisme
- hausser le risque de mortalité due à des dérèglements physiologiques liés au stress
- réduire la qualité des soins de santé
- freiner l’adoption de saines habitudes de vie (p. ex. : réticence à pratiquer du sport en public par peur du jugement ou parce que les installations ne sont pas adaptées)
Devenir des alliés
Bonne nouvelle! Tout le monde peut contribuer à réduire la grossophobie. Ça commence par une vraie introspection. Voici des pistes :
- Prendre d’abord conscience de ses propres préjugés
En avoir est normal. C’est une conséquence des normes sociales irréalistes de beauté et de la culture des régimes ambiante. Revoir ses croyances peut être confrontant, tout comme de constater qu’elles n’ont pas toujours leur raison d’être, mais l’exercice est nécessaire.
- Cesser de faire des commentaires sur l’apparence des gens
À éviter : leur donner des conseils non sollicités et véhiculer des préjugés sur le poids.
- S’exposer à plus de diversité corporelle
Ce n’est pas difficile, il suffit de regarder autour de nous… Elle est partout.
- Nommer, voire dénoncer les commentaires grossophobes
Lutter contre la grossophobie ne veut pas dire encourager les habitudes de vie défavorables à la santé. Il s’agit plutôt de reconnaître que tout le monde a droit au même traitement respectueux, peu importe le poids.
Quel que soit notre format, on peut tous contribuer à créer une société tolérante et plus inclusive!
En bref
Personne n’a le plein contrôle sur son poids ou son format corporel. Malheureusement, les préjugés subsistent, et la discrimination peut affecter la santé physique et mentale des personnes visées.
En revanche, on peut tous contribuer à contrer la grossophobie. En prenant conscience de nos propres préjugés, nous devenons déjà des alliés plus sensibles à cette réalité.